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A la recherche de paroles perdues en France – Marie Balmary

Marie Balmary a eu la gentillesse de me confier ce texte … voilà presque deux ans déjà. Il mérite bien des commentaires, qui viendront progressivement, mais les « happy few » lecteurs de volte-espace peuvent déjà (enfin !) en profiter aussi. Bonne lecture. (0)

A la recherche de paroles perdues en France

« A l’ouverture du défilé du 14 juillet 2012, selon le vœu du Président François Hollande pour son premier 14 juillet, place de la Concorde, au pied de la tribune officielle, une comédienne a déclamé le texte ci-dessous. Pour ce jour qui risquait d’être pluvieux, on avait choisi un extrait du discours de Léon Gambetta au banquet républicain du 14 juillet 1872 à La Ferté-sous-Jouarre qui avait été marqué par de fortes pluies. L’extrait se terminait ainsi :

“Le temps ne nous permettant pas de poursuivre, nous allons attendre qu’il devienne un peu plus clément. Pour vous rassurer, je vous dirai que ce temps est traditionnel, malheureusement et qu’à tous les anniversaires du 14 Juillet il a toujours plu. Ainsi, le jour où eut lieu la grande Fédération, la pluie tomba toute la journée, ce qui n’empêcha pas Paris tout entier, hommes, femmes, enfants, de toutes classes et de toutes conditions, de rester impassibles sous les injures du ciel, parce que, en ce jour, il s’agissait de prêter serment à la République.”

Or, la comédienne qui avait déclamé impeccablement ces paroles, a fait, juste à la fin un lapsus qui m’apparaît du plus haut intérêt :

“Ainsi, le jour où eut lieu la grande Fédération, la pluie tomba toute la journée, ce qui n’empêcha pas Paris tout entier, hommes, femmes, enfants, de toutes classes et de toutes conditions, de rester impassibles sous les injures du ciel, parce que, en ce jour, il s’agissait de prêter serment à la Révolution.”

Fête nationale 14 juillet 2012 ©Jean-Claude Coutausse

Ce lapsus m’avait saisie. Je suis allée rechercher le texte original et, confirmation faite de l’erreur, je me suis trouvée devant des questions : que signifiait cette modification du discours de Gambetta ? De quelle vérité cachée, refoulée, ce lapsus était-il l’émergence involontaire, la manifestation imprévue ?

Aurions-nous prêté serment à la Révolution et non à la République ? C’est que ça n’est pas la même chose. Si le terme de “serment prêté à la Révolution” avait, une réalité, ce serment caché devait avoir eu et peut-être avoir encore des conséquences. Où les trouver ?

En ce jour de fête nationale où notre hymne serait joué et chanté plusieurs fois, nous allions réentendre les étranges paroles de ce chant révolutionnaire demeuré inchangé depuis la Révolution.

Or, il est étonnant que nous n’ayons jamais vraiment remis en question les paroles de ce chant dont nous aimons la musique mais dont les mots, prononcés aujourd’hui, provoquent toujours un mouvement de visage lorsqu’on interroge les gens sur leur contenu. D’autres nations ont changé leur hymne national lorsque leur évolution politique les a rendues caduques.

Nous, non.

Peut-être est-il temps de remettre en question cette exception française.

Alors que tant de pays chantent l’amour de leur patrie, nous, nous chantons la peur des autres, leur haine envers nous et notre réaction belliqueuse à cette haine. Étranges paroles aujourd’hui. Pourquoi sont-elle encore là ? Serait-ce à cause de ce serment silencieux, ignoré de nous que nous gardons les paroles de la Marseillaise ?

Nous sommes restés comme figés dans ce chant révolutionnaire qui n’a maintenant plus rien à nous offrir sinon le souvenir historique d’une époque de guerre dont nous ne partageons plus ni les menaces ni les réponses à ces menaces. Plus rien à enseigner à nos jeunes citoyens qu’un projet inactuel : triompher de la tyrannie d’envahisseurs qui veulent nous réduire en esclavage.

Nous chantons cela tandis que nous sommes à présent entourés de démocraties pacifiques, et pour nombre d’entre elles en Europe de Monarchies protectrices de la démocratie, largement aussi libérées que nous.. Et les enfants de la patrie, nous les appelons pour nous délivrer, dans des sentiments et par des moyens que nous réprouvons aujourd’hui : appel à la haine, appel aux armes, vœu exprimé de voir couler le sang des autres, qualifié d’impur, dans les sillons de notre terre pour l’abreuver. Qu’y a-t-il là à célébrer pour les enfants de 2019 ?

Nous n’osons plus toucher à cette tradition dont les paroles ne nous nourrissent plus et nous interdisent peut-être d’en chercher ailleurs d’autres qui nourriraient mieux la vie. N’avons nous pas d’autres sources de culture ? La France a-t-elle commencé en 1795, date à laquelle la Marseillaise, composée trois ans plus tôt, fut adoptée comme chant national ?

Une femme politique (Eva Joly) avait bien proposé un changement mais sans doute sa proposition était-elle trop radicale (supprimer la Marseillaise et aussi le défilé. Or, ce défilé, je comprends que les Français, même pacifiques, y tiennent ; l’armée qui descend les Champs Élysées ce jour là, c’est du moins la leur, pas une armée étrangère. Et puis, c’est présenter la force pour le maintien de la paix, non inciter à la haine.)

Dans le discours de Gambetta, même la pluie qui tombe sur les parisiens en fête est lue comme nous étant hostile : ce sont “les injures du ciel”. Le ciel était donc un ennemi pour nous. Le serait-il encore ? Continuons-nous à nous sentir “injuriés” par le ciel ? Pourquoi cela ? De quoi serions-nous accusés par lui ? Est-ce parce que nous avons tué, parmi bien d’autres, le roi ? Il est vrai que nous n’avons officiellement jamais reconnu comme meurtres ces exécutions. Même le ciel serait contre nous. Comment lutter contre cet invisible ennemi imaginaire ?

Tant d’hymnes nationaux demandent au contraire la bénédiction du ciel , la protection divine, (God save the Queen, chante-t-on à Londres – où affirment l’avoir grâce à leur foi , In God is our trust , chante l’Amérique). Ces références divines ne sont pas faites par des peuples plus soumis que nous à des religions tyranniques et dépassées.

Un doute : le texte original de la Marseillaise ne comportait-il aucune référence à Dieu ? Et là, une surprise : le huitième couplet a été supprimé en 1792 par le ministre de la guerre. Le voici :

Dieu de clémence et de justice
Vois nos tyrans, juge nos cœurs
Que ta bonté nous soit propice
Défends-nous de ces oppresseurs (bis)
Tu règnes au ciel et sur terre
Et devant Toi, tout doit fléchir
De ton bras, viens nous soutenir
Toi, grand Dieu, maître du tonnerre.

Et dans un couplet suivant :

Le Dieu qui lance le tonnerre
Et qui commande aux éléments,
Pour exterminer les tyrans,
Se sert de ton bras sur la terre.

Ainsi donc, dans l’original de la Marseillaise, le ciel n’était nullement contre nous, l’auteur pouvait demander l’aide d’un Dieu clément et juste, “maître du tonnerre”. Un dieu qui même se sert du bras français pour éliminer les tyrans. Pensée discutable, certes. Reste que cette bonne puissance au ciel ayant été supprimée, dans l’esprit de Gambetta, et peut-être le nôtre, le ciel n’est pas resté vide. Il semble qu’une autre puissance obscure et muette s’y soit installée. Hostile aux humains qui se libèrent des oppressions, cette néfaste puissance peut se servir de la nature contre nous.

Comment un peuple peut-il se sentir heureux sous un ciel qui, désormais vide de toute bonté, est habité dans l’imaginaire par une présence muette qui l’injurie sans un mot ?

Le ciel de 1775 n’était pas dans cet état. La Marseillaise, censurée ? Et le Dieu de la Marseillaise un des premiers morts de la Terreur ?

Il est temps de faire le tri, dans cet héritage. Temps de revenir sur les injustices commises, de les reconnaître, de les regretter. Afin que le mot « Révolution » dont nous pouvons être politiquement fiers ne nous oblige pas en même temps à enfouir ce dont nous souffrons – d’avoir fait souffrir sans l’avoir jamais reconnu ni regretté collectivement.

Faire l’inventaire. Ne pas demeurer ainsi toujours menacés par les autres, injuriés par le ciel, et gênés à chaque proclamation de notre hymne national en des lieux où il se révèle particulièrement inapproprié à l’événement : les sportifs avant les matchs font remarquer si on les interrogent que les paroles qu’ils vont cependant chanter ne correspondent en rien à l’esprit sportif qui réunit sur ces terrains, non pas des ennemis à anéantir mais des adversaires loyaux à rencontrer selon les nobles valeurs du sport.

Qui pourra nous permettre de rompre le malheureux enchantement du “serment prêté à la Révolution”, comme l’a si bien révélé et le lapsus de la comédienne et le fait que personne, me semble-t-il, pas un journaliste, pas un homme ou une femme politique, ne l’ai fait remarquer ? L’ayant moi-même entendu – c’est mon métier –, je me suis contentée de rechercher le texte original pour vérifier qu’il s’agissait bien d’un lapsus,. Puis j’ai attendu qu’une voix plus forte que la mienne s’en saisisse.

Au moment où nous nous apprêtons à faire chanter la Marseillaise par les enfants des écoles à la rentrée scolaire, il serait l’heure de se poser la question. N’avons-nous pas mieux comme parole pour nourrir nos jeunes citoyens ? Pourquoi alimenter sans cesse ainsi la haine, des autres et de soi haïssant les autres ? N’y a-t-il aucun remède ?
J’en vois déjà un. Revenir à l’histoire, repasser la parole à la Marseillaise elle-même :

Car son dernier mot, dans ses quatre derniers vers, est un vœu stupéfiant, jamais raconté, me semble-t-il :

Soyons unis ! Tout est possible ;
Nos vils ennemis tomberont,
Alors les Français cesseront
De chanter ce refrain terrible.

Et si le véritable désir de la révolution était qu’un jour, tous unis, nous puissions ne plus chanter ces terribles paroles ? Déjà les transmettre intégralement serait un progrès en humanité. Que les enfants avec leurs enseignants aient accès au texte intégral et à l’histoire de ce chant. Qu’ils puissent visiter son moment, son contexte, ses mésaventures. Le monde continuera d’être un lieu difficile, certes, et peut-être ne serons-nous pas d’ici longtemps prêts à cesser de chanter comme elle le souhaite elle-même la Marseillaise. Du moins, elle ne fera plus obstacle à d’autres mémoires, d’autres sentiments, d’autres chants. Un autre idéal, un autre avenir.

Pauvres en parole ? Oui, déjà parce que nous nous sommes appauvris de celles que nous avons. Mais ensuite, où aller ? Où chercher un remède à la parole pauvre ? Peut-être à l’endroit où nous avons mal lorsque Notre-Dame brûle … »

Marie Balmary

« Psyahanalyste »

 

Cordialement

 

0 – Les illustrations, soulignages, mises en gras, liens et commentaires à venir relèvent de ma seule responsabilité.

Presque deux ans de retard certes, mais vous remarquerez aussi que Marie Balmary écrit à propos d’un événement datant de 2012, soit sept ans plus tard. L’essentiel est que ce « lapsus » ait pu être relevé et que vous puissiez désormais lire ce texte.

Le lire, le relire et le méditer au sens occidental du terme. Il le mérite. Autant que toutes ses autres œuvres et productions diverses.

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

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