Cyrille J.-D. Javary est sans doute plus connu pour ses travaux sur le Yi Jing, le « classique des changements », que pour ce modeste et génial ouvrage, paru aux Éditions Albin Michel en 2008, destiné à « … ouvrir une brèche dans la Grande Muraille des signes ».
Mais, à l’heure où quasiment tous les pays du monde déroulent le tapis rouge pour accueillir les dirigeants chinois, plus exactement le taux de croissance et la supposée puissance de l’empire du milieu, ce livre constitue une aide précieuse pour se souvenir de quelques fondamentaux, chinois certes, mais ayant largement vocation à l’universel. Le modèle chinois se trouve là, et pas dans les carnets de commande ni dans les accords diplomatiques.
Voici quelques-uns de ces fondamentaux, accompagnés de brefs extraits ; la lecture de ce livre nécessaire vous apportera infiniment plus avec ses commentaires des idéogrammes et des compléments historiques, sociologiques, … :
zhèng zhèng yê – « Gouverner, c’est être juste«
« Confucius se servira de l’identité phonétique et de la parenté graphique entre la justesse et la gouvernance, pour souligner la nécessité de la rectitude morale chez ceux qui ont charge de gouverner. »
Sans commentaire, ni pour la Chine, ni pour la France, ni pour le reste du monde … juste une photo, au symbolisme universel, de « l’homme de la place Tian’Anmen« . Où que ce soit, en Syrie, Égypte, Iran, Israël, Libye, Tunisie, Turquie, Biélorussie, Birmanie … une place est un espace conçu pour accueillir des hommes libres, pas pour faire manœuvrer des chars …
yâng shêng – Nourrir le vivre
« … la perspective chinoise : garder vivant en nous ce “vivre” qui habite la terre entière, s’y manifestant par la continuité des saisons et s’y incarnant dans l’infinie variété des êtres vivants. Ce “vivre” reçu de nos parents, transmis à nos enfants, qu’aucun humain ne peut s’approprier, s’il fallait lui donner un nom plus familier, ne serait-ce pas cet “élan vital” dont Bergson parle avec des mots si justes* ? »
Là encore pas besoin d’un long commentaire pour souligner que la dynamique du monde moderne, économique d’abord mais également culturelle au sens large, s’oppose à « nourrir le vivre ». Georges Bernanos a longuement développé sa thèse du monde moderne comme « conspiration contre l’Esprit », mais il est clair que cette conspiration s’étend également au « souffle-énergie », au Qi. L’angoissant « modèle » occidental qui prévaut actuellement sur l’ensemble de la planète étouffe la Vie et menace de la détruire.
Ainsi comment parvenir à nourrir le vivre, par la pratique du Tai Qi Quan ou du Qi Gong notamment, dans cette « Airpocalypse » ?
rén rén yê – « La vertu d’humanité, c’est être humain«
« Pour Confucius, ce qui fonde la qualité d’un être humain est la propension à améliorer quotidiennement son propre niveau d’humanité dans ses relations avec ses semblables. »
La Vision du Soi selon Douglas Harding peut contribuer de manière décisive à labourer ce champ d’humanité : tout simplement en démontrant, simplement, clairement, impitoyablement … l’illusion du face à face. Être humain, c’est être simultanément, aussi consciemment que possible, un « petit« humain périphérique & le « Grand » central, le Tao (dào)…
« Il est formé par l’association de deux caractères, à droite le signe de la tête shôu, et à gauche le signe général de la marche. […] Si les taoïstes le posent au commencement des choses, ce n’est pas en tant qu’entité créatrice du monde, mais en tant que vide d’où procèdent les réalités et les conduites en ce monde. »
Cet idéogramme est reproduit et développé dans un ouvrage de Douglas, « Vivre sans stress« (Éditions L’Originel), à la fin du chapitre quinze, La vieillesse :
« … ce mystérieux Tao ? C’est la Voie. C’est le programme de l’univers, le programme de votre vie lorsque vous êtes en harmonie avec l’univers. C’est votre Nature la plus profonde, votre véritable Nature.«
Pour lui, il est clair que dès que la tête est partie : Tao … à l’image d’une lame zen tranchant impeccablement (et symboliquement) une tête … Sinologiquement parlant c’est peut-être aller un peu vite en besogne … La seule façon d’en être absolument certain, la seule façon d’espérer rejoindre les rangs des immortels taoïstes, xiân, consiste à participer à un atelier de Vision du Soi.
Cordialement
* : notamment dans « L’évolution créatrice ».
NB : François Jullien propose également sur ce sujet majeur une réflexion pleine de justesse dans son ouvrage « Nourrir sa vie à l’écart du bonheur« – Éditions du Seuil, 2005.